Népal

Les Dalits se mobilisent contre la discrimination

20.08.2024

Un groupe de solidarité soutenu par Action de Carême dans l’ouest du Népal lutte contre la discrimination des Dalits. Après quelques succès initiaux, le groupe est aujourd’hui confronté à des revers, mais ses membres ne se laissent pas décourager.

Un texte de Ralf Kaminski, rédacteur chez Action de Carême

À l’école Bhawani Basic, dans la région de Dolpa, 17 élèves sur 28 sont des Dalits. Bien qu’elles représentent environ 13 % de la population népalaise, les personnes dalits sont confrontées à de nombreuses formes de discrimination.

Au Népal, un système séculaire issu de l’hindouisme répartit les personnes en classes sociales appelées castes. Les Dalits, qui comprennent plus de 20 castes inférieures, sont traditionnellement considérés comme impurs et « intouchables ». Pour les castes plus élevées, les boissons ou les aliments touchés par les Dalits sont donc également considérés comme impurs.

Sushila B. K. est dalit et membre d'un groupe de solidarité dans la région de Dolpa.

« Nos enfants nous racontaient souvent leurs expériences à l’école », explique Sushila B. K., agricultrice, mère et membre du groupe de solidarité Dalit Batabaran Krishi Samuha. « Les élèves étaient souvent ignoré·e·s par les enseignant·e·s non-dalits, qui ne corrigeaient pas leurs devoirs, mais les punissaient plus sévèrement que les autres s’il leur arrivait d’oublier quelque chose à la maison. »

La discrimination se manifeste particulièrement autour de la nourriture et des boissons. « Deux enseignantes non-dalits demandaient toujours à des élèves non-dalits de leur apporter de l’eau quand elles avaient soif, plutôt que de demander à l’employé dalit de l’école, responsable de ce type de tâches. » Les élèves qui apportaient l’eau devaient veiller à ne pas toucher par mégarde un·e camarade dalit, sinon les enseignantes refusaient de boire l’eau. En général, les non-dalits refusaient de consommer des repas ou des boissons que l’employé dalit de l’école avait touchés.

La menace d’une plainte déclenche un changement

C’est du moins ce qui se passait jusqu’à l’automne 2023, lorsque le groupe de solidarité est intervenu auprès de l’école. « La loi est de notre côté », explique Sushila B. K. Le groupe a informé la direction de l’école que le comportement des non-dalits contrevenait à la loi en vigueur et a menacé de porter plainte. « Tout le monde était évidemment au courant de la loi, mais il a fallu que nous agissions par la menace pour provoquer un changement de comportement. »

Depuis, les responsabilités de l’employé dalit de l’école, Maan Prasad Kami, se sont élargies : « Aujourd’hui, en plus de m’occuper du matériel scolaire et de nettoyer les salles de classe, je prépare et je sers également les repas de midi, le thé et le café pour tou·te·s les enseignant·e·s, les élèves et les invité·e·s. » Avant, les repas se résumaient à de la malbouffe, comme des nouilles instantanées ou des biscuits. « Je suis très heureux d’avoir plus de responsabilités et de voir les enfants manger plus sainement. »

Les propos d’un chamane ravivent la méfiance

Depuis le mois d’octobre 2023, tout le monde mangeait ensemble à la cantine scolaire ce que Maan Prasad Kami préparait. Pendant environ cinq mois, tout se passait bien. « Progressivement, de moins en moins de personnes participaient au déjeuner », raconte Sushila B. K. À cette même période, un enfant non-dalit avait développé une éruption cutanée autour de la bouche, et ses parents l’avaient emmené chez le chamane du village. « Le chamane avait recommandé que l’enfant ne mange ni ne boive rien qui ait été touché par des personnes de castes inférieures. » Cette information s’était rapidement propagée à l’école et aujourd’hui, seuls trois des onze enfants non-dalits mangent les repas de Kami. Pourtant, l’éruption cutanée s’était probablement développée en raison de problèmes de santé.

« Quelques changements positifs ont toutefois persisté », constate Sushila B. K. « Les enfants s’assoient maintenant tous ensemble sur les mêmes bancs en classe, au lieu d’être séparés comme avant. » Malgré ce revirement, Maan Prasad Kami garde espoir. « Je n’aurais jamais cru que la discrimination envers nous, les Dalits, pourrait un jour changer. Pourtant, elle a réellement diminué, et je suis désormais convaincu que nous pouvons remporter ce combat et que les attitudes à l’école continueront de s’améliorer. » D’autant plus qu’il a également observé des changements positifs dans la cantine d’une autre école.

Maan Prasad Kami est employé à l'école Bhawani Basic dans la région de Dolpa.

Deux pas en avant, un pas en arrière

De son côté, Sushila B.K. est persuadée que l’intervention du groupe n’a fait que modifier le comportement des non-Dalits à l’école, mais pas leur attitude. « Et encore, uniquement à cause de notre menace juridique. De plus, ils craignent la réaction des autres non-Dalits. » Une enseignante a en effet été prévenue par le propriétaire de son logement qu’elle devrait déménager si elle continuait à manger les repas préparés par un Dalit à l’école.

Le fait qu’il y ait toujours des reculs dans la lutte contre la discrimination n’est pas inhabituel, explique Umakanta Bhusal, le responsable de projet local de CAED, une organisation partenaire d’Action de Carême au Népal. « Souvent, on fait deux pas en avant et un en arrière, mais cela nous fait tout de même progresser lentement. » Pour lui, la principale raison du recul à l’école Bhawani Basic réside dans l’attitude des parents non-dalits. « Ils exercent une pression sur leurs enfants et les enseignants. En fin de compte, les non-Dalits veulent conserver leur rôle privilégié aussi longtemps que possible. »

La lutte des Dalits continue

Umakanta Bhusal reconnaît qu’il est difficile de changer des attitudes sociales aussi profondément ancrées, et que changer la loi ne suffit pas. « Cependant, nous continuons à y croire, tout comme les communautés dalits avec lesquelles nous collaborons. »

Le groupe de solidarité Dalit Batabaran Krishi Samuha a demandé au directeur de l’école d’organiser une réunion entre la direction, les enseignant·e·s et le groupe pour discuter à nouveau de la situation. « Nous sommes plus déterminé·e·s que jamais à continuer de nous battre », déclare Sushila B. K.

Ce qui les intéresse avant tout, ce sont leurs enfants. « C’est pourquoi nous nous concentrons autant sur l’école, car nous savons qu’une bonne éducation ouvre de nombreuses portes. Nous voulons que nos enfants aiment aller à l’école, qu’ils apprennent beaucoup et qu’ils aient une vie meilleure que la nôtre ».

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Umakanta Bhusal est responsable de projet auprès de CAED, l'organisation partenaire locale soutenue par Action de Carême.

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