Mgr Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, a nommé Dorothée Thévenaz Gygax, actuelle responsable du secteur Sensibilisation et coopérations chez Action de Carême, en tant que représentante de l’évêque pour l’écologie. Nous sommes ravi·e·s de cette nouvelle synergie qui couronne aussi Action de Carême pour son engagement de longue haleine en faveur du climat. Mme Thévenaz Gygax, qui aura pour mission de porter la thématique de l’écologie au niveau du diocèse, reçoit son mandat ce soir lors d'une célébration à Renens (VD). À cette occasion, nous vous proposons une interview de Mgr Morerod au sujet de l'écologie.
C’est une vaste question. Nous nous préoccupons de la situation de l’environnement et de la manière dont nous sommes en relation avec le reste de la nature, car nous savons que l’être humain a un impact assez fort et souvent dévastateur, et que cela met en danger notre avenir. Comment nous positionner pour que la planète reste vivable et que nous restions en bonne santé ? C’est un travail de sensibilisation qui doit commencer assez tôt. Quand j’étais au cycle d’orientation, on nous emmenait une fois par année dans la forêt à Bulle pour ramasser les déchets. C’était très formateur pour nous de voir le tas que cela faisait. Cette éducation reste marquée dans la personne.
Avez-vous l’impression que la notion d’écologie a changé au cours des dix dernières années, depuis que vous dirigez le diocèse ?
Il y a une plus grande prise de conscience de la population, et cela concerne tant l’évêché que moi-même. Aujourd’hui, dans les rares cas où je prends l’avion, je contribue à une compensation du CO2, ce à quoi je ne pensais pas du tout dans le passé. Lorsque j’ai pris mes fonctions ici, j’ai essayé de modifier certaines habitudes, comme le fait de consommer de l’eau en bouteille et d’utiliser des gobelets en plastique jetables. Les sœurs qui étaient ici à l’époque étaient surprises, mais elles n’avaient pas toujours vécu à un endroit où l’eau du robinet est potable. Nous avons aussi passé en revue les émissions de CO2 de la maison afin de prendre conscience du niveau de notre consommation. J’ai aussi participé à plusieurs rencontres en ligne avec des associations telles que EcoEglise, une association qui propose un éco-diagnostic aux communautés chrétiennes.
Que représente l’encyclique Laudato si’ du pape François dans la relation entre l’Église et l’écologie ?
Il y a six ans, lors de la publication de l’encyclique Laudato si’, des gens m’ont approché pour me confier qu’ils n’auraient jamais pensé qu’un texte issu de l’Église catholique pourrait un jour les intéresser. Je me souviens aussi que plusieurs responsables d’administrations liées à l’environnement m’ont dit qu’ils lisaient et citaient souvent l’encyclique. Cette approche positive m’a aussi été indiquée par le directeur de l’Office fédéral de l’environnement et le directeur du Parc naturel régional Gruyère Pays-d’Enhaut. Cette publication a changé la perspective des gens et a provoqué une vraie conscientisation. Une vision de l’économie qui prétend que le but du bien-être est une croissance économique sans fin n’est pas complètement compatible avec la survie de la planète.
Est-ce qu’il y a un avant et un après Laudato si’ dans la manière de concevoir l’écologie ?
Oui. D’abord, ce n’était pas la première fois qu’un pape se préoccupait de la question, mais il reste que ce texte a marqué son temps et a mis en évidence la thématique de l’écologie dans la vie de l’Église catholique. Dans le passé, il y a eu des encycliques sur la politique sociale comme Rerum novarum du pape Leon XIII, qui ont valu la publication d’encycliques de souvenir par les papes suivants. Laudato si’ a signifié une extension de la vision chrétienne et de l’anthropologie chrétienne. On nous regarde moins comme des spécialistes de thématiques purement religieuses. Il s’agit d’une des raisons pour lesquelles je me suis dit qu’avoir une représentante pour l’écologie donnerait un signal positif. Cela montre que nous ne parlons pas que de nous-mêmes.
Pourquoi avoir choisi Dorothée Thévenaz Gygax, responsable du secteur Sensibilisation et coopérations chez Action de Carême, comme représentante pour l’écologie au sein du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg ?
Lorsque des collaboratrices d’Action de Carême sont venues nous rendre visite à l’évêché pour présenter Action de Carême, j’ai entendu Mme Thévenaz Gygax parler d’écologie et elle m’a convaincu. Elle a la capacité d’expliquer les choses de manière pédagogique, en évitant des discours qui crispent inutilement. Ça crispe un peu, mais pas inutilement. Je me suis aussi dit qu’une collaboration avec Action de Carême était une bonne idée, parce qu’il y a une convergence. C’est une manière de collaborer avec d’autres, en dehors de nos cercles, pour un but commun. Dans ce domaine comme dans d’autres, pourquoi travaillerions-nous en ordre dispersé ? Du moment que nous avons une préoccupation commune, nous sommes plus efficaces ensemble.
En quoi consistera ce rôle concrètement ?
Il y a différentes personnes qui travaillent dans le domaine de l’écologie au sein de l’Église catholique en Suisse romande. Il s’agira de voir ce qu’elles font, de les rassembler et de coordonner leurs actions. Ma réflexion générale par rapport au diocèse est qu’en rassemblant des personnes qui se penchent sur les mêmes questions à Genève, à Lausanne, à Fribourg et éventuellement à Neuchâtel, elles vont trouver des solutions et des synergies permettant, entre autres, de faire des économies. Dans le domaine de l’écologie, cela permettra de générer des idées susceptibles de provoquer des étincelles intéressantes.
Ce sont donc principalement l’aggravation de la crise climatique et l’élan donné par l’encyclique qui vous ont mené à créer un poste de représentant·e pour l’écologie ?
Il s’agit, et je tiens à le mettre en avant, d’un point de dialogue avec d’autres. C’est aussi une préoccupation, en tant que chrétiens, pour les êtres humains. Mais l’amour du prochain, comme le montre le pape, passe aussi par la préoccupation de la survie de la planète. Les gens en âge d’avoir des enfants se demandent si c’est responsable aujourd’hui de procréer. D’autres partagent leur préoccupation pour l’avenir de leurs enfants ou leurs petits-enfants. Je comprends ces réflexions et me pose la même question, car la planète se réchauffe trop vite. Sans parler du phénomène de migration de masse des réfugiés climatiques : lorsqu’il n’y aura plus à boire et à manger, les gens seront contraints de se déplacer pour survivre. Cela va forcément provoquer des guerres. Les problèmes s’enchaînent et les perspectives sont sombres. Ce qui est paradoxal, c’est que nous avons pris des mesures drastiques pour contrer le coronavirus alors que nous ne prenons que des petits bouts de demi-mesures face à quelque chose qui nous menace bien plus que cette pandémie. L’écologie n’est pas un sujet très porteur en politique. Si un parti prône la décroissance dans certains pays comme la Suisse, il risque de ne pas avoir un grand succès électoral.
En 2021, nous avons entamé une série de quatre campagnes consécutives sur la thématique de la justice climatique. Les communautés des pays du Sud sont les plus impactées par les changements climatiques, alors que les émissions de CO2 proviennent principalement des pays du Nord. Que pensez-vous de la notion de « justice climatique » dans les rapports Nord-Sud ?
Il s’agit d’une notion fondamentale. C’est un cas particulier d’une certaine équité dans les relations entre différents pays. Le fait que de nombreuses matières premières proviennent de pays du Sud, qui n’en reçoivent finalement pas grand-chose et ne dictent même pas les termes de leurs prix, c’est déjà une part d’injustice. En plus, nous utilisons ce que nous leur prenons pour polluer et, à la fin, nous leur renvoyons nos déchets… Fondamentalement, ils ont les mêmes droits que nous. De plus, la concentration de plus en plus forte d’une grande proportion des biens dans les mains d’un petit nombre de personnes, à terme, c’est une bombe, c’est un facteur de guerre. Et même s’il n’y a pas un risque de guerre, ça reste une injustice.
Le pape envisage de se rendre à la COP 26 à Glasgow. Qu’en pensez-vous ?
Ce serait très bien qu’il le fasse. Ce qu’il fait est absolument remarquable. Il place bien certains accents et je le pense dans le domaine de l’écologie, mais pas seulement. Son engagement élargit la question de morale et montre que l’Église ne se préoccupe pas que d’elle-même. Il y a quelque chose de providentiel dans l’arrivée d’un homme comme lui et cela a un côté libérateur pour nous. Toutefois, j’ai parfois l’impression que le pape est mieux perçu en dehors de l’Église qu’au sein de celle-ci. Quand il parle d’écologie ou du coronavirus, il touche une part d’incertitude. Nous savons qu’il faut agir, mais nous ne savons pas très bien comment. Or, certaines personnes qui trouvent dans l’Église un endroit qui les rassure ne vont pas trouver cela très agréable. Elles attendent de l’Église un cadre bien clair qui ne change pas.
Communiqué du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg
Interview de Dorothée Thévenaz Gygax par cath.ch (20.03.2019)