
À la redécouverte du kabog, une ancienne variété de millet qui avait pratiquement disparu.
Les arrière-grands-parents de Rosaflor Estenzo cultivaient déjà le kabog sur leurs champs vallonnés. Pendant des siècles, cette plante, baptisée du nom d’une chauve-souris, poussait partout dans le nord de Cebu et servait à la préparation des denrées les plus diverses, allant d’un plat qui rappelle la paella à des desserts, en passant par des sauces, de la farine et du café.
« J’appartiens à la quatrième génération qui cultive le millet kabog », précise Rosaflor, qui tient aussi un stand sur un marché paysan local. Ses produits à base de millet font fureur auprès des autochtones comme des citadin·e·s aisé·e·s qui se soucient de leur santé. Le kabog est en effet plus nourrissant que le riz ou d’autres sortes de millet, selon des études scientifiques auxquelles a notamment participé le World Food System Center, un institut de l’EPFZ.
Supplanté par le riz, puis redécouvert
L’engouement pour cette céréale traditionnelle est d’autant plus surprenant qu’elle avait pratiquement disparu. « Introduit à Cebu par les colons espagnols, le riz a rapidement pris l’ascendant sur le millet et les paysan·ne·s se sont mis à le cultiver », explique Teresa Ruelas, directrice de notre partenaire CAFE i (Communities for Alternative Food Ecosystems Initiative). Gérant plusieurs marchés paysans de Cebu, cette femme de 66 ans collabore aussi avec des cultivateurs et cultivatrices pour promouvoir les techniques agroécologiques et freiner le réchauffement climatique.
Un travail de plaidoyer pour protéger les semences
Teresa Ruelas juge que cette variété de millet peut avoir encore plus de succès, aussi à l’étranger. « Toutefois, il est important que les Philippines brevètent la semence pour la protéger », ajoute-t-elle, craignant que des multinationales agroindustrielles découvrent cette plante et se l’approprient. « Nous devons à tout prix éviter cela, car nous savons d’expérience que les produits deviennent ensuite si chers que la population locale ne peut généralement plus se les permettre. » Des activités de plaidoyer politique ont déjà été mises en œuvre pour obtenir un brevet, mais le chemin est encore long.

Rosaflor Estenzo (à gauche) et Teresa Ruelas développent sans cesse de nouveaux produits à base de kabog.
Le réchauffement climatique rend les cultures difficiles
Il y a quelques années, Teresa Ruelas a commencé à vendre des produits à base de millet traditionnel. Dès le début, Rosaflor Estenzo, surnommée « Butche » en raison d’un biscuit qu’elle adorait enfant, a fait partie du projet. Le premier succès des deux femmes a été le Budbud Kabog, un en-cas sucré composé d’une délicieuse pâte de millet au lait de coco enveloppée dans une feuille de bananier. « La saveur authentique de notre produit a ravivé les souvenirs d’enfance de nombre de nos client·e·s. » La popularité de cette spécialité a permis à Butche d’étoffer progressivement sa gamme de produits, et au kabog de retrouver sa place dans le cœur des consommatrices et consommateurs.
Les familles paysannes sont de plus en plus nombreuses à replanter du kabog, « une variété toutefois assez sensible », explique Butche. « Elle nécessite peu d’eau et redoute l’excès d’humidité. Les effets du réchauffement planétaire, telles que les précipitations imprévisibles, rendent cependant sa culture plus difficile. » Les oiseaux, friands de millet eux aussi, représentent un autre défi. « Les épouvantails ne les effraient malheureusement plus. Nous devons donc surveiller les champs et les chasser nous-mêmes. »
Un revenu supplémentaire bienvenu
Ces dernières années, les récoltes de kabog ont permis de générer des revenus supplémentaires pour les familles paysannes. « Elles gagnent davantage et les enfants des ménages les plus modestes peuvent désormais accéder à l’enseignement secondaire », rapporte Butche. « Les paysannes et paysans qui cultivent beaucoup de kabog sont considérés comme aisés », précise-t-elle, avant d’ajouter que la culture de cette céréale a amélioré non seulement la situation de certaines familles, mais aussi celle de l’ensemble de la communauté.