Helena Jeppesen-Spuhler, qui travaille pour Action de carême, figure parmi les 54 femmes qui siègent actuellement à l’assemblée générale du synode sur l’avenir de l’Église catholique à Rome. Elle nous raconte son expérience et les résultats qu’elle espère obtenir.
Le synode se tient depuis début octobre. Êtes-vous déjà parvenu·e·s à de premiers résultats ?
Nous n’avons pas encore pris de décisions formelles. Mais nous abordons tous les sujets, même les plus délicats. Et nous comptons bien faire avancer les choses ! D’ici la fin du synode, l’objectif est de formuler diverses recommandations – le plus claires possible – à l’intention du pape, et d’y inclure des propositions de mesures et de réformes, notamment une liste de priorités ainsi qu’un calendrier. L’idée de ces recommandations, c’est de donner au pape, ainsi qu’aux croyants du monde entier, un aperçu de l’état d’esprit au sein de l’assemblée. Notamment sur l’accès des femmes au diaconat, qui est désormais approuvé sur l’ensemble des continents, bien que certaines personnes continuent de s’y opposer.
Comment les évêques accueillent-ils le fait que, pour la première fois, des femmes et des hommes mariés puissent prendre part aux débats ? As-tu le sentiment qu’ils vous prennent au sérieux ?
Une grande majorité, oui. Il y en a qui ont clairement du mal à accepter notre présence. Mais une chose est sûre, le fait que des femmes et des hommes non ordonnés puissent s’exprimer et participer à la prise de décisions est historique et constitue un important changement culturel. Des personnes ayant participé à de nombreux synodes m’ont dit qu’il y régnait une ambiance très différente cette année. Je pense que la participation des laïcs et laïques est vouée à se normaliser.
Comme Action de carême et l’Église suisse, tu es favorable à l’adoption de mesures progressistes au sein du monde catholique. Une vision soutenue par des représentant·e·s d’autres continents ?
Je me base sur le Rapport synodal suisse, qui demande trois choses : une décentralisation de l’Église universelle, l’accès des femmes à l’ensemble des ministères ordonnés, et une Église exempte de discriminations. La décentralisation et l’égalité hommes-femmes sont également largement soutenues par d’autres régions du monde. Des voix s’élèvent même en faveur de la non-discrimination des personnes LGBTQ+, notamment en Asie et en Afrique du Sud, mais l’opposition reste très forte sur cette question.
« Nous devons appliquer en interne ce que nous exigeons à l’extérieur. »
Grâce à ton travail pour Action de Carême, tu disposes d’un vaste réseau dans les pays du Sud : selon toi, comment est perçue l’Église dans ces régions-là ? Une évolution vers une institution plus progressiste pourrait-elle faciliter l’engagement d’Action de Carême ?
Oui beaucoup, ne serait-ce que parce que cela renforcerait grandement la crédibilité de nos revendications. L’ancien président philippin Rodrigo Duterte a par exemple rejeté les mises en garde de l’Église en matière de droits humains en prétextant que celle-ci devait d’abord veiller à les respecter elle-même avant de reprocher les violations des autres. Nous devons appliquer en interne ce que nous exigeons à l’extérieur. Par ailleurs, je perçois chez les représentant·e·s d’Asie et d’Amérique latine une grande aspiration au changement au sein de l’Église. Les gens veulent aller de l’avant.
À quelles avancées peut-on s’attendre, au mieux d’ici fin 2024 ?
Je pense que le rôle des femmes dans l’Église va évoluer. On devrait également observer un renforcement de l’Église à l’échelon local, avec éventuellement une réglementation différente selon les régions du monde. La question est de savoir dans quelle mesure. Mais je pense par exemple qu’il est tout à fait envisageable que les bénédictions de couples de même sexe deviennent une réalité en Suisse, en Allemagne et dans d’autres pays.
Qu’est-ce que cela te fait d’avoir soudain ton mot à dire dans ce centre traditionnel du pouvoir clérical ?
D’un côté, je trouve cela génial parce que cette ouverture constitue une avancée historique et offre de véritables possibilités de changement dans la bonne direction. Mais de l’autre, l’organisation n’est pas toujours optimale. Nous sommes très peu de femmes, et nous retrouvons souvent réparties dans différents groupes de travail. Par exemple, il m’est arrivé de me retrouver seule à siéger avec un groupe d’évêques conservateurs, ce qui n’est pas idéal… Mais avec les autres femmes, nous nous réunissons de temps en temps pour nous donner de la force. Nous devons surtout nous armer de patience, de beaucoup de patience.
Helena Jeppesen-Spuhler (57 ans) travaille depuis 2001 pour Action de carême, notamment en tant que responsable du programme Philippines. Elle représente également l’organisation au sein de plusieurs comités ecclésiaux dans le cadre de ses fonctions de « Chargée du réseau ecclésiastique en Suisse ». Helena figure parmi les 80 laïcs qui, pour la première fois cette année, ont la chance de pouvoir participer au synode sur l’avenir de l’Église catholique. Celui-ci a une fonction consultative ; seul le pape François décidera in fine des réformes à mettre en place, après le prochain synode à l’automne 2024. Ce n’est pas en tant que représentante d’Action de carême qu’Helena siège à Rome. Elle a été nommée au sein du synode pour son expérience et son engagement à travers le monde en faveur de plus de justice et de la sauvegarde de la Création.